Rue Esprit-des-Lois : l’origine du nom de la rue lié à une oeuvre de Montesiquieu
Il y a des rues que l’on traverse sans les regarder, comme des pages trop vite tournées. La rue Esprit-des-Lois fait partie de celles-là : élégante, discrète, parfaitement intégrée au triangle d’or, elle accompagne les pas du flâneur entre le Grand-Théâtre et les quais. Et pourtant, derrière son nom poétique se cache un morceau d’histoire profondément bordelais.
Car ici, la ville n’a pas voulu honorer un personnage — elle l’a déjà fait ailleurs — mais une œuvre. Et pas n’importe laquelle : De l’Esprit des lois, le grand livre de Montesquieu publié en 1748. Une rue baptisée d’après un livre, ce n’est pas banal. À Bordeaux, c’est même exceptionnel. Et comme souvent, l’histoire qui mène à ce choix n’a rien d’un long fleuve tranquille : elle passe par la Révolution, par des restructurations urbaines, et par une volonté très forte de graver les idées nouvelles dans la pierre. Alors, on remonte le fil ? 📘✨
Une rue née du tumulte de 1793
Avant la Révolution, le quartier ressemble à un patchwork de rues et d’îlots en cours de transformation. L’aménagement du Grand-Théâtre dans les années 1770 avait déjà commencé à recomposer le secteur, mais la rue Esprit-des-Lois, en tant que telle, n’existait pas encore.
Tout change en 1793, lorsque Bordeaux est découpée en vingt-huit sections civiques. L’une d’elles, installée dans l’ancien couvent des Jacobins, adopte un nom étonnant : Section n°11 – Esprit-des-Lois. Le choix n’est pas anodin. Dans l’effervescence révolutionnaire, Montesquieu apparaît comme un penseur de référence, presque un guide théorique : séparation des pouvoirs, modération, primauté de la loi… autant d’idées que les révolutionnaires veulent inscrire dans le paysage.
Cette section est clairement mentionnée dans O’Reilly :
« Section n°11, Esprit-des-Lois, à Saint-Dominique, ci-devant Jacobins. »
Lorsque le quartier est réorganisé à la fin du XVIIIᵉ siècle et au début du XIXᵉ, la nouvelle rue percée dans l’axe du théâtre reprend naturellement ce nom tout juste entré dans la toponymie. L’hommage n’est plus seulement révolutionnaire : il devient urbain, permanent.
Un nom littéraire, sans lien avec une résidence de Montesquieu
Il faut le redire : Montesquieu n’a jamais vécu dans cette rue.
Bernadau, toujours piquant, rectifie d’ailleurs le malentendu :
« N’allez pas chercher la demeure du philosophe ni dans la rue qui porte son nom, ni dans celle à laquelle on a imposé, je ne sais pourquoi, le titre de son grand ouvrage. »
Le philosophe a résidé rue Margaux, ce qu’il indique lui-même dans un texte de 1719. Le nom Esprit-des-Lois n’évoque donc pas un lieu de vie, mais un héritage intellectuel. Et pour une fois, l’homme passe après l’idée.

Les anciens noms de la rue
Les archives toponymiques montrent que la rue a porté plusieurs appellations, toutes en lien direct avec l’œuvre de Montesquieu :
- Rue de l’Esprit des Lois
- Rue de l’Esprit-des-Lois
- Rue de la Porte de l’Esprit des Lois (forme rare, reflétant probablement un passage ou ouverture urbaine)
- Rue Esprit-des-Lois (nom actuel)

Ces variations ne changent rien à l’essentiel : depuis sa création, la rue porte le nom d’un livre et non d’un personnage. Un choix assumé, rare dans les villes françaises, mais parfaitement cohérent avec la mémoire locale.
Une rue façonnée par les transformations du XVIIIᵉ et du XIXᵉ siècle
La rue Esprit-des-Lois s’inscrit dans le grand mouvement d’embellissement de Bordeaux initié au XVIIIᵉ siècle : façades régulières, hôtels particuliers, ouverture des axes principaux… L’Hôtel de Saige, voisin immédiat, témoigne de cette période où Bordeaux se dote d’une physionomie moderne et spectaculaire.
Au fil du XIXᵉ siècle, la rue devient un lien élégant entre le Chapeau-Rouge, le théâtre, les quais et les commerces, sans jamais renier son identité révolutionnaire.

Aujourd’hui encore, on peut y lire ce mélange subtil d’ordre classique, d’ambition commerçante et d’esprit des Lumières qui caractérise tant le centre historique.
FAQ pour briller en société 😎
La rue est-elle dédiée à Montesquieu ?
Pas directement. Elle honore son ouvrage, pas l’homme. Un des rares cas bordelais où l’œuvre prime sur l’auteur.
Pourquoi ce nom est-il resté après la Révolution ?
Parce qu’il renvoyait davantage à un concept politique qu’à une figure radicale. Sous l’Empire comme sous la Restauration, il ne posait aucun problème.
Montesquieu a-t-il habité le quartier ?
Non : il vivait rue Margaux. On est ici dans l’hommage intellectuel, pas biographique.
Le nom est-il vraiment unique en France ?
Impossible de le certifier. D’autres villes ont des rues nommées d’après des œuvres littéraires.
On peut simplement dire que c’est un choix rare et significatif, mais non « unique ».
Sources historiques
- O’Reilly, Histoire complète de Bordeaux, mention de la Section n°11 Esprit-des-Lois.
- Pierre Bernadau, Le Viographe bordelais, anecdote sur le nom et correction du lien erroné avec Montesquieu.
- Geneawiki, Noms des anciennes rues et édifices de Bordeaux, pour les variantes toponymiques.