Saint Fort, le protecteur oublié de Bordeaux

Mythes et légendes
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À Bordeaux, dans la crypte mystérieuse de la basilique Saint-Seurin, une tombe attire depuis des siècles les mamans et les enfants. C’est celle de saint Fort, figure à la fois légendaire et réelle, patron discret des petits faibles. Aujourd’hui encore, on parle de la légende de saint Fort, et il est bien plus qu’une simple histoire pieuse : il incarne les premiers temps du christianisme bordelais et l’attachement populaire à ses saints protecteurs.

🕊️ Aux origines : un martyr des débuts du christianisme

Saint Fort fut évêque de Bordeaux au début du IVe siècle, probablement sous l’empereur Dioclétien, à l’époque des grandes persécutions. Convertisseur infatigable, il aurait prêché l’Évangile jusqu’à son martyre. Son corps fut ensuite enseveli dans la basilique primitive de Saint-Étienne, l’actuelle Saint-Seurin, là où reposent plusieurs des premiers évêques de Bordeaux.

Tombeau de Saint Fort Bordeaux - Bas reliefs
Tombeau de Saint Fort Bordeaux – Bas reliefs https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b105716626.r=saint%20fort%20bordeaux?rk=21459;2

La légende dorée locale raconte qu’après sa mort, les dieux païens se turent et les oracles cessèrent de répondre — signe de la victoire de la foi chrétienne sur les anciens cultes.

⚱️ Le “bras de saint Fort” : relique et serment solennel

Durant tout le Moyen Âge, son culte prit une dimension civique. Les magistrats bordelais, avant de prendre leurs fonctions, devaient prêter serment sur son bras, conservé dans une châsse d’argent au sein de la basilique Saint-Seurin. Henri Gradis précise :

“Les magistrats, avant d’entrer en fonctions, prêtaient serment sur un de ses bras, qu’on avait renfermé dans une chasse d’argent.”

Cette relique, qualifiée de fierte (du latin feretrum, châsse), était si vénérée qu’elle servait aux serments judiciaires les plus graves — on disait “jurer sur le fort Saint-Seurin”. Ce fort — qui donna son nom à “Saint Fort” — viendrait en réalité du mot latin virga, le bâton pastoral ou verge de saint Seurin. Avec le temps, la confusion populaire aurait transformé cette “relique forte” en saint Fort lui-même.

ÉtapeMot / objetSens
1️⃣Feretrumfiertela châsse, le reliquaire
2️⃣Fierte Saint-Seurinle reliquaire de saint Seurin
3️⃣Fort Saint-Seurin (déformation orale)la “relique forte”
4️⃣Saint Fort (personnification)le “nouveau” saint, né de la confusion populaire

👶 La dévotion populaire : le saint des enfants “faibles”

Sous le chœur de Saint-Seurin se trouve un caveau appelé la crypte de Saint Fort.
Pierre Bernadau, dans son Viographe bordelais (1828), rapporte :

“Ce caveau est l’objet d’une dévotion particulière de la part des mères qui ont de petits enfants dont le corps manque de force.”

Nécropole de la Basilique Bordeaux Saint-Seurin - Saint-Fort
Nécropole de laBasilique Bordeaux Saint-Seurin – Saint-Fort

Les mamans y conduisaient leurs enfants chétifs, espérant leur rendre vigueur en priant ou en les allongeant un instant sur le tombeau du saint. On venait aussi y faire bénir des ceintures et des bandelettes protectrices. Cette tradition, attestée jusqu’au XIXe siècle, a fait de saint Fort un “kiné céleste” avant l’heure, patron des enfants “mous”, des retardataires de la croissance, et des convalescents.

Saint Fort Bordeaux - Mères amenant leurs enfants sur le tombeau
1800 – Saint Fort Bordeaux – Mères amenant leurs enfants sur le tombeau Source : https://selene.bordeaux.fr/ark:/27705/330636101_DEL_CARTON_94_37

⛪ Une fête très bordelaise

La fête de saint Fort était célébrée le 16 mai (NDLR : et en plus c’est mon anniv à moi, tâchez de ne pas l’oublier 😉) À cette occasion, la crypte était fleurie et les familles affluaient. Le fort Saint-Seurin devenait alors un lieu de ferveur joyeuse, entre foi et tradition populaire. Certaines chroniques signalent même que les offrandes de cette journée figuraient parmi les plus importantes du chapitre de Saint-Seurin, signe de la notoriété du saint à Bordeaux.

1920 - Fete de Bordeaux pour Saint Fort
1920 – Fete de Bordeaux pour Saint Fort Source : https://selene.bordeaux.fr/ark:/27705/330636101_EST_3_MF

🤔 Saint ou symbole ? La controverse

Mais voilà : plusieurs érudits, dès le XVIIIe siècle, doutèrent de l’existence historique du saint.
Bernadau écrit avec malice :

“Il y a tout lieu de soupçonner que ce saint est un peu apocryphe… la légende ne dit rien de sa vie, et les actes n’en sont rapportés dans aucun martyrologe.”

Autrement dit, saint Fort serait peut-être né d’un malentendu linguistique : la forte sancti Severini (le bâton de saint Seurin) transformée, par la piété populaire, en un saint Fort à part entière. Mais qu’importe, puisque la dévotion, elle, a bien existé — et qu’elle s’est enracinée durablement dans le cœur des Bordelais.

💬 FAQ pour briller en société

➡️ Saint Fort a-t-il vraiment existé ?
Probablement, oui, mais son histoire s’est mêlée à des traditions locales plus anciennes. Les érudits hésitent entre un évêque martyr du IVe siècle et une relique mal interprétée.

➡️ Où se trouve sa tombe ?
Sous le chœur de la basilique Saint-Seurin, dans la crypte archéologique classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.

➡️ Pourquoi “Fort” ?
Le mot forte désignait jadis la verge ou le bâton pastoral. Par glissement, le peuple a cru qu’il s’agissait d’un saint du nom de “Fort”.

➡️ Quel est le miracle associé ?
Il redonne force aux enfants faibles ou malades. D’où l’expression locale : “Porter l’enfant à saint Fort”.

📚 Sources à citer dans WordPress

  • Abbé Patrice-John O’Reilly, Histoire complète de Bordeaux, t. I, 1858, p. 31-32 — source Gallica
  • Pierre Bernadau, Le Viographe bordelais, 1828 — source Gallica
  • Henri Gradis, Histoire de Bordeaux, 1888 — source Gallica
  • Louis Desgraves, Évocation du vieux Bordeaux, 1960
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