Les sorcières du Pont de Pierre : quand Bordeaux brûlait ses peurs
Sous les arches du Pont de Pierre, les Bordelais d’aujourd’hui voient passer le tram et les joggeurs. Mais au XVIIᵉ siècle, on y voyait autre chose : des silhouettes de femmes voilées, accusées de pactiser avec le diable.
Le Parlement de Bordeaux, installé au Palais de l’Ombrière, y mena l’une des affaires les plus sulfureuses de son histoire : le procès des “sorcières du Pont de Pierre”, symbole d’une ville où la superstition rivalisait avec la justice.
🧙♀️ Des sorts et des soupçons
Tout commence en 1628, dans le quartier des Salinières, à deux pas des rives de la Garonne. Les habitants se plaignent d’un mal mystérieux : du lait qui tourne, des récoltes qui meurent, des enfants malades.
Très vite, les rumeurs convergent vers trois femmes du quartier : Marie de la Chaux, Isabeau Duhamel et une veuve surnommée la Cazotte. On les dit guérisseuses, herboristes, parfois voyantes.
Une voisine affirme avoir vu « des flammes bleues danser autour de leur logis la nuit ». D’autres jurent qu’elles se réunissent “près d’un pont en construction” — possiblement le futur Pont de Pierre qui sera construit 200 ans plus tard — pour invoquer des esprits. Dans une ville encore marquée par les guerres de Religion et la peur du diable, il n’en faut pas plus pour allumer le bûcher.
⚖️ Le Parlement de Bordeaux s’en mêle
L’affaire remonte jusqu’au Parlement de Guyenne, qui siège au Palais de l’Ombrière. Le procureur du roi ordonne une enquête pour “sortilèges, maléfices et commerce avec l’Ennemi”. Les trois femmes sont arrêtées et enfermées dans les cachots du Roi, sous le palais. Les témoignages pleuvent : un charpentier dit les avoir vues “marcher sur les eaux du fleuve”, un marin prétend qu’elles ont “maudit les vents” pour couler les barques.
Le procès s’ouvre dans une atmosphère d’hystérie. Les magistrats, influencés par les traités de démonologie en vogue, cherchent la marque du diable sur le corps des accusées. Le 4 octobre 1629, après plusieurs semaines d’interrogatoire et de “question ordinaire”, le verdict tombe : coupables de sorcellerie, idolâtrie et invocation démoniaque.
💀 Une exécution exemplaire
Les trois femmes sont conduites, au petit matin, place du Pilouret (aujourd’hui place Fernand-Lafargue), où se dresse le pilori du Parlement. Là, sous les yeux d’une foule dense, on érige le bûcher.
« Les flammes s’élevèrent haut, et les cris se perdirent dans la Garonne », écrit un chroniqueur anonyme cité par O’Reilly (Histoire complète de Bordeaux, 1857).
On dit que pendant trois jours, l’odeur de la cendre flotta jusqu’aux quais. La rumeur ajouta que des silhouettes noires furent vues, la nuit suivante, près du fleuve.
🕯️ La peur comme justice
Ce procès n’eut rien d’isolé : le Parlement de Bordeaux mena près d’une trentaine de procès pour sorcellerie entre 1600 et 1650. Il s’agissait souvent de femmes seules, guérisseuses ou simplement marginales. Sous couvert de religion, ces procès traduisaient la peur du désordre, de la maladie et de l’inconnu. Le bûcher servait à purifier la ville — ou à la rassurer.
🏺 Sorcellerie, païens et ruines du Palais Gallien
L’affaire des sorcières du Pont de Pierre n’est qu’une page du grand livre des peurs bordelaises.
Quelques années plus tard, d’autres rumeurs couraient autour du Palais Gallien, les ruines romaines du nord de la ville.
On disait que, la nuit, des groupes s’y réunissaient pour célébrer d’antiques “sabbats” à Bordeaux et invoquer des esprits païens parmi les colonnes écroulées. Ces échos d’un passé mystique, mêlés à la foi et à la peur, rappellent que Bordeaux a toujours entretenu un lien trouble avec l’invisible.
👉 Pour en savoir plus, découvre notre article complet : Sabbat et chasse aux sorcières à Bordeaux
👻 L’ombre des sorcières
D’après des récits oraux du XIXᵉ siècle, recueillis notamment par les érudits bordelais Léo Drouyn et Léonce Auzias, certains Bordelais affirmaient que trois femmes drapées de noir erraient sur les quais, l’une tenant un bouquet d’herbes sèches, l’autre une chandelle éteinte. Ces apparitions, dit-on, rappelaient les âmes des sorcières condamnées par le Parlement deux siècles plus tôt.
🤓 FAQ pour briller en société
👉 Y a-t-il vraiment eu des procès de sorcières à Bordeaux ?
Oui. Le Parlement de Guyenne en a instruit plusieurs au XVIIᵉ siècle. Les archives mentionnent des affaires de “sortilèges” jugées à l’Ombrière.
👉 Pourquoi près du Pont de Pierre ?
Le quartier des Salinières, aujourd’hui proche du Pont, était une zone de marins, d’herboristes et de guérisseuses — souvent suspectées de magie.
👉 Le Parlement croyait-il vraiment au diable ?
Totalement. Les magistrats appliquaient la loi royale inspirée des traités religieux, où le diable était une menace réelle.
👉 Existe-t-il encore des traces ?
Rien de matériel, mais des mentions dans les registres du Parlement et dans les chroniques du XIXᵉ siècle, notamment celles de Bernadau et d’O’Reilly.
📚 Sources à mentionner dans WordPress
- Pierre Bernadau, Le Viographe bordelais, 1843 – Gallica / BnF
- Abbé Patrice-John O’Reilly, Histoire complète de Bordeaux, 1857 – Gallica / BnF
- Auguste Bordes, Histoire des monuments anciens et modernes de la ville de Bordeaux, 1845 – Google Books
- Musée d’Aquitaine, Justice et Parlement de Guyenne, 1990 – musee-aquitaine-bordeaux.fr
- Archives départementales de la Gironde, Registres du Parlement de Guyenne, XVIIᵉ siècle (cotes G 530 à G 545)