Histoire de la rue des Piliers-de-Tutelle : sous les pavés, le temple !
À Bordeaux, il y a des rues que l’on traverse sans lever les yeux, et d’autres où il faudrait baisser la tête. Car sous les pavés, c’est toute Burdigala qui sommeille ! C’est le cas de la rue des Piliers-de-Tutelle, discrète artère qui relie la place Camille-Jullian à la rue du Pas-Saint-Georges. Peu de promeneurs imaginent qu’ils marchent sur ce qui fut, deux mille ans plus tôt, le cœur battant de la ville romaine. Oui, rien que ça ! 🌿
🕰️ Timeline historique ⏳
- Ier siècle av. J.-C. : les Bituriges Vivisques s’installent sur la terrasse du Puy-Paulin, fondant Burdigala.
- Ier siècle ap. J.-C. : édification d’un temple monumental dédié à Tutela, la déesse protectrice de la cité.
- IIIe siècle : le temple est détruit ou abandonné, victime des bouleversements urbains et religieux.
- Moyen Âge : les vestiges du temple sont oubliés, réemployés dans les constructions médiévales.
- 1900 : les fouilles menées rue des Piliers-de-Tutelle redécouvrent les bases du temple et ses célèbres colonnes.
🏺 Une rue bâtie sur un temple disparu
Le nom « Piliers-de-Tutelle » n’a rien d’un hasard. Il renvoie aux colonnes de pierre retrouvées à cet endroit lors des fouilles du XIXe siècle. Ces fragments appartenaient à un temple gallo-romain consacré à Tutela (dit aujourd’hui Temple de Tutelle), divinité tutélaire de la cité (l’équivalent local de Fortuna, la chanceuse). D’après les archéologues, le sanctuaire se dressait à l’exact emplacement de la place Camille-Jullian, avec ses colonnades monumentales et son esplanade, comme un petit forum à la bordelaise.
🏛️ « Le temple de Tutelle fut l’un des plus beaux de la Gaule romaine ; ses colonnes dominaient toute la ville antique. » — Camille Jullian, Histoire de Bordeaux.
Aujourd’hui, impossible d’en deviner la présence sans les panneaux explicatifs installés sur le site. Mais en regardant bien, la topographie du lieu — ce léger renfoncement entre les rues — trahit encore la forme du temple rectangulaire sur podium.

Une légende accorde à Burdigala la protection de la divinité Tutella. Les hommes d’alors lui édifièrent un temple et la déesse pris place au sommet des piliers. La veille de leur démolition en 1667, l’architecte Claude Perrault, auteur de la colonnade du Louvre, les esquisse en quelques lignes te en quelques traits.

🪶 De la pierre antique au cœur médiéval
Au fil des siècles, le quartier s’est reconstruit sur les ruines du temple. Les colonnes furent réutilisées dans des maisons, des caves et des puits. Le Moyen Âge fit oublier Tutelle pour mieux célébrer les saints.
Mais la rue garda la mémoire du lieu dans son nom : « rue des Piliers-de-Tutelle » — un nom poétique, presque mystérieux, qui ressurgit comme un écho antique au milieu du Bordeaux médiéval.
📜 En 1843, Pierre Bernadau notait déjà dans son Viographe bordelais :
« Ces Piliers de Tutelle rappellent les antiques fondations sur lesquelles la ville nouvelle s’est appuyée. »
Après la destruction du temps
Le temple de Tutelle est détruit en 1667 et ses pierres réutilisées pour des bâtiments. Au fil des siècles, des commerces et des maisons de luxe s’installent dans la rue des Pilier des Tutelle. Par exemple le magasin de draperie (représenté ci-dessous), et encore des établissements véritables institutions de Bordeaux comme le Comptoir de Tutelle.

💡 Le coin des anecdotes : petits secrets des Piliers-de-Tutelle
🧱 1. Une “batterie” sur le temple antique !
En octobre 1649, pendant la Fronde, le conseiller d’Espaignet fit installer une batterie d’artillerie sur les ruines des Piliers-de-Tutelle, afin de tirer sur le Château-Trompette. Le marquis de Sauvebœuf dut capituler peu après. Difficile d’imaginer que l’un des plus beaux temples de la Gaule ait servi… de fortification improvisée ! ⚔️
🏠 2. Une rue née d’un hôtel disparu
La rue actuelle n’existait pas avant 1800. Elle a été ouverte sur l’ancien terrain d’un hôtel somptueux construit par Hardouin-Mansart pour le président de Pontac — la fameuse Maison Dorade, ainsi appelée à cause de ses dorures scintillantes. Quand le bâtiment fut démoli, son emplacement donna naissance à la ruelle que nous connaissons. Bordeaux recycle, déjà ! ✨
💦 3. Une fontaine mécanique à manivelle
En face de cette Maison Dorade se trouvait une fontaine à manivelle, dite fontaine de Tropeyte (1614). L’eau remontait grâce à un système mécanique — et à la force du bras ! Elle fut déplacée en 1808 au coin de la rue du Pont-de-la-Mousque et de la rue des Piliers-de-Tutelle. Mais, selon Bernadau, “ses eaux restèrent aussi mauvaises qu’auparavant”. Les Bordelais râlaient déjà pour leur eau du robinet ! 💧
✒️ 4. Des poètes sous les colonnes
En 1576, le poète Pierre de Brach s’inspira du temple pour composer une ode entière, louant “le superbe bastiment dont le tour mesuré se monstre en un quarré”. Ces vers montrent à quel point les ruines romaines fascinaient déjà les humanistes bordelais. Le temple de Tutelle était, avant même son nom, un symbole d’identité locale. 📜
😇 5. L’autel au “génie de Bordeaux”
En 1590, on mit au jour un autel votif dédié à Auguste et au “génie de la cité des Bituriges Vivisques”. Les jurats, fiers de cette découverte, le firent transporter à l’Hôtel de Ville. Ce marbre antique — considéré par certains comme le plus ancien monument romain de France — est aujourd’hui exposé au Musée d’Aquitaine. Un vrai trésor sous les pieds des Bordelais !

📍 Une balade à faire le nez au vent
Aujourd’hui, la rue, étroite et pavée, serpente entre les bars et les terrasses. Pourtant, sous ces caves à vin se cachent les vestiges d’un temps où Bordeaux s’appelait Burdigala. En descendant la rue jusqu’à la place Camille-Jullian, tu peux observer la reconstitution du temple visible à travers une vitre installée à même le sol — un petit miracle d’archéologie urbaine.
👉 Découvre aussi l’histoire complète du Temple et des Piliers de Tutelle sur vieux-bordeaux.fr
💬 FAQ pour briller en société 🤓
Pourquoi “Tutelle” ?
Parce que Tutela, en latin, signifie la protection. C’était la déesse gardienne de la ville et de ses habitants.
On peut encore voir les vestiges ?
Oui, sous la place Camille-Jullian, un espace archéologique présente les fondations du temple antique.
Le temple datait de quand ?
Du Ier siècle de notre ère, soit à l’époque où Bordeaux se romanise.
Les “piliers” sont visibles ?
Non, ils ont disparu, mais certains fragments sont conservés au Musée d’Aquitaine.
Pourquoi ce lieu est-il important ?
Parce qu’il marque l’emplacement du forum de la Burdigala romaine — le centre religieux et politique de la ville antique.
📚 Sources et lectures conseillées
- Camille Jullian, Histoire de Bordeaux (Tome I)
- Patrice-John O’Reilly, Histoire complète de Bordeaux
- Pierre Bernadau, Le Viographe bordelais
- Dany Barraud & Geneviève Caillabet-Duloum, Burdigala. Bilan de deux siècles de recherches et découvertes récentes à Bordeaux
- Article complet sur les Piliers de Tutelle – vieux-bordeaux.fr