Histoire de la place Gambetta à Bordeaux : du jardin des Lumières à la place contemporaine

Lieux et monuments
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Difficile d’imaginer Bordeaux sans sa célèbre place Gambetta. Aujourd’hui, elle est ce rond d’air arboré où l’on traverse en vitesse pour rejoindre Sainte-Catherine, le cours Clémenceau ou la place des Grands Hommes. Mais derrière ce décor apaisé se cache une longue histoire, née au siècle où Bordeaux rêvait d’élégance classique, de symétrie et de “bon goût à la française”. En t’y promenant, tu marches sur le projet-phare de l’intendant Tourny, sur les traces d’une “Place Dauphine” qui n’a rien à voir avec celle de Paris, et tu longes un tracé urbain où subsistent les héritages de l’ancienne porte Dijeaux, plus discrètement liée au lieu que ce que son absence laisserait croire.

Bienvenue dans un récit où s’entremêlent urbanisme éclairé, démolitions de remparts, ambitions royales, révolutions et réaménagements modernes 🌿✨. Si tu pensais connaître la place Gambetta, prépare-toi : son histoire, comme souvent à Bordeaux, commence bien avant qu’elle ne porte son nom…

🕰️ Timeline historique essentielle (Place Dauphine → Place Nationale → Place Gambetta)

  • 1730–1755 : grands travaux de modernisation de Bordeaux ; démolition progressive des remparts médiévaux ; aménagement de l’actuelle place sous l’impulsion de l’intendant Tourny.
  • 1746–1750 : création de la Place Dauphine, vaste place-jardin régulière entourée d’immeubles homogènes.
  • 1770–1780 : installation de grilles, plantations, bassin central ; la place devient un espace de promenade apprécié.
  • 1792 : la place change de nom et devient Place Nationale durant la Révolution.
  • 1815–1883 : plusieurs variations de noms selon les régimes politiques.
  • 1883 : elle devient officiellement Place Gambetta, en hommage à Léon Gambetta, figure républicaine.
  • XXᵉ siècle : adaptations à la circulation automobile, suppression du bassin, plantations nouvelles.
  • 2018–2020 : vaste réaménagement : la place redevient un jardin central apaisé, inspiré de son dessin du XVIIIᵉ siècle.

🌿 Une naissance au siècle des Lumières : la Place Dauphine

Pour comprendre l’histoire de la place Gambetta, il faut remonter au Bordeaux du XVIIIᵉ siècle, celui que décrit l’abbé O’Reilly, époque où la ville passe d’une cité enfermée dans ses remparts à un ensemble de places, cours et boulevards ouverts et respirants. L’intendant Louis-Urbain Aubert de Tourny, arrivé en 1743, a alors l’ambition de transformer Bordeaux en ville modèle du royaume.

1800 - Place Dauphine - Nationale - Bordeaux
1800 – Place Dauphine – Nationale- Bordeaux – Source https://selene.bordeaux.fr/

Parmi ses projets figurent l’alignement des façades, la création de places régulières, de promenades publiques et d’axes élégants. La future place Gambetta entre précisément dans ce programme ✨.

Elle naît sous le nom de Place Dauphine, en hommage au dauphin Louis, fils de Louis XV. Contrairement à la place parisienne du même nom (sur l’île de la Cité), la Place Dauphine bordelaise est pensée comme un vaste jardin central entouré de façades régulières en pierre blonde.

La grande innovation de Tourny :
➡️ Transformer l’ancien glacis des remparts en un système de places ouvertes et rayonnantes, permettant à la ville de respirer.

🧱 Et les remparts dans tout ça ? Le lien discret avec la porte Dijeaux

La place Gambetta occupe un espace situé juste devant l’ancienne porte médiévale Dijeaux, démolie dans les années 1770–1780. La porte se trouve à l’ouest, à l’entrée de l’actuelle rue Porte-Dijeaux. Lorsque les remparts ont été détruits, la zone s’est libérée, permettant l’aménagement de la place :

  • la porte Dijeaux servait auparavant de point de passage entre la ville close et les faubourgs ;
  • après sa disparition, l’espace est restructuré, les circulations sont redirigées et la nouvelle place Dauphine devient un carrefour majeur vers les nouveaux cours (ceux qu’on nommera plus tard Clemenceau, de l’Intendance et Georges-Clemenceau).
1950 - Place Gambetta et Porte Dijeaux - Bordeaux
1950 – Place Gambetta et Porte Dijeaux – Bordeaux – Source https://selene.bordeaux.fr/

Cette articulation n’est pas anecdotique : c’est précisément l’ouverture de ce secteur qui permet à la place d’exister. Comme le rappelle Desgraves dans Évocation du Vieux Bordeaux, la topographie urbaine y est entièrement redessinée pour constituer le centre névralgique de la “ville des Lumières”.

🌳 Une place-jardin : élégance classique et vie sociale

Dès sa création, la Place Dauphine est pensée comme un lieu de promenade. L’urbanisme bordelais du XVIIIᵉ est très marqué par l’influence versaillaise : grilles basses, parterres géométriques, bassins, arbres en quinconce.

Les gravures du XVIIIᵉ montrent un jardin ordonné, composé d’allées symétriques, d’un bassin central et d’un tracé régulier. Comme le note Maurice Ferrus dans son Touriste à Bordeaux (1927), la place était déjà appréciée pour “la fraîcheur de ses arbres et l’harmonie de ses façades”.

1950 - Place Gambetta - Bordeaux
1950 – Place Gambetta – Bordeaux – Source https://selene.bordeaux.fr/

Au fil du temps, la place change légèrement de physionomie :

  • ajout de bancs,
  • modification des plantations,
  • installation de grilles,
  • entretien assuré par les services municipaux nés sous la Monarchie.

Ce caractère de salon en plein air fera partie de son identité jusqu’au XIXᵉ siècle.

La Révolution s’en mêle : la Place Nationale

En 1792, comme de nombreuses artères de Bordeaux, la Place Dauphine change de nom pour tenir compte du nouveau régime : elle devient Place Nationale. Aucune transformation physique majeure n’est alors entreprise ; seules les plaques de rues et les documents officiels changent. Le jardin reste un lieu de promenade, fréquenté par les habitants du quartier Saint-Seurin et par les Bordelais circulant entre les cours nouvellement tracés.

Plusieurs noms circuleront au XIXᵉ siècle au gré des régimes, mais l’esprit du lieu ne change guère. Les archives municipales montrent qu’on y installe parfois des décorations éphémères pour les fêtes royales ou nationales.

🟧 1883 : naissance de la Place Gambetta

C’est finalement en 1883 que la place reçoit son nom actuel, en hommage à Léon Gambetta, figure majeure de la IIIᵉ République. Ce changement s’inscrit dans un vaste mouvement de dénomination républicaine des places et rues françaises. À cette époque, plusieurs transformations ont déjà modifié la place :

  • disparition progressive des grilles,
  • transformations du bassin,
  • adaptation aux nouvelles circulations (tramways, omnibus, puis automobiles).
1920 - Place Gambetta - Bordeaux
1920 – Place Gambetta – Bordeaux – Source https://selene.bordeaux.fr/

La place reste néanmoins un espace vert. Les cartes postales du premier XXᵉ siècle la montrent déjà très proche de ce qu’elle sera jusque dans les années 1960 : un jardin circulaire entouré d’un flot constant de circulation.

🚗 XXᵉ siècle : l’emprise de l’automobile et les grandes transformations

L’après-guerre marque un tournant. Comme ailleurs en France, la place s’adapte à la croissance formidable du trafic automobile. Les modifications incluent :

  • élargissement des voies,
  • suppression du bassin central,
  • remodelage du jardin,
  • installation de feux tricolores,
  • rationalisation des traversées piétonnes.
1950 - Place Gambetta - Bordeaux
1950 – Place Gambetta – Bordeaux – Source Sud Ouest

Le jardin est conservé mais simplifié. La cohérence classique du XVIIIᵉ est moins perceptible. L’espace devient davantage un giratoire paysager qu’une place-jardin.

1990 - Place Gambetta - Bordeaux
1990 – Place Gambetta – Bordeaux – Source Sud Ouest

🌱 2018–2020 : renaissance d’une place-jardin inspirée du XVIIIᵉ siècle

Le réaménagement moderne (2018–2020) ambitionne de redonner à la place Gambetta son rôle d’espace vert majeur tout en apaisant la circulation. Les grandes lignes du projet :

  • recentrage du jardin,
  • plantations en strates végétales,
  • création d’un miroir d’eau discret,
  • arènes de promenade,
  • mise en valeur des façades du XVIIIᵉ,
  • réduction du flux automobile,
  • intégration du tram.

Sans recopier le dessin de la Place Dauphine d’origine, le projet s’en inspire clairement :
➡️ retrouver un espace de respiration centrale, une promenade, un équilibre entre pierre et végétal.

Les Bordelais découvrent alors une place plus douce, plus accessible aux piétons, renouant avec la vocation première voulue par Tourny : un “salon urbain”.

📚 FAQ pour briller en société 😎

La place Gambetta s’est-elle toujours appelée ainsi ?
Non ! Elle fut successivement Place Dauphine, Place Nationale, puis Place Gambetta en 1883.

La porte Dijeaux était-elle au centre de la place ?
Non. Elle se situait plus à l’ouest, à l’entrée de la rue Porte-Dijeaux. C’est la démolition des remparts qui a permis l’aménagement de la place, mais la porte n’a jamais occupé son centre.

Pourquoi Tourny a-t-il créé cette place ?
Pour moderniser Bordeaux et en faire une ville ouverte, respirante, conforme au goût du XVIIIᵉ siècle.

La place a-t-elle toujours été un jardin ?
Oui, sous différentes formes : jardin classique au XVIIIᵉ, promenoir romantique au XIXᵉ, giratoire végétalisé au XXᵉ, place apaisée au XXIᵉ.

Le réaménagement récent copie-t-il celui du XVIIIᵉ ?
Non. Il s’en inspire (centralité du jardin, symétrie douce), mais propose un dessin contemporain.

📎 Sources

  • O’Reilly, Histoire complète de Bordeaux, XIXᵉ siècle — descriptions des remparts et transformations du XVIIIᵉ.
  • Auguste Bordes, Histoire des monuments anciens et modernes de Bordeaux — évolution des portes et tracés urbains.
  • Louis Desgraves, Évocation du Vieux Bordeaux — démolition des remparts, urbanisme de Tourny.
  • Maurice Ferrus, Le touriste à Bordeaux (1927).
  • Archives municipales de Bordeaux — projets d’urbanisme, mentions des changements de noms de la place.
  • Société Archéologique de Bordeaux — études sur la topographie disparue du secteur Dijeaux.

La Place Gambetta en photos

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