Histoire de la porte Dijeaux : des remparts médiévaux à la porte monumentale du XVIIIᵉ siècle

Lieux et monuments
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Difficile de traverser Bordeaux sans passer devant la porte Dijeaux, cette élégante arche du XVIIIᵉ siècle qui marque l’entrée du cœur commerçant de la ville. Mais derrière sa silhouette sage, c’est un site vieux de plus de huit siècles qui se cache. Oui, toi qui descends aujourd’hui la rue Porte Dijeaux pour rejoindre la place Gambetta, tu marches littéralement sur les traces d’une des anciennes portes fortifiées de Bordeaux. Une porte qui, au fil des siècles, a changé de nom, d’apparence, de fonction, mais jamais de rôle : celui de relier la ville à l’ouest, vers le Médoc et le grand chemin menant autrefois à la basilique Saint-Seurin.

Alors, attache ta ceinture (ou ton baudrier médiéval), on remonte très loin dans le temps… 😉

🕰️ Timeline de la porte Dijeaux (du Moyen Âge au XVIIIᵉ siècle)

📜 XIIᵉ–XIIIᵉ siècle
→ Première mention d’une porte occidentale, appelée Porta Judea puis Porta de Jaux dans les textes médiévaux. Elle appartient à l’enceinte fortifiée de Bordeaux.

⚔️ XIVᵉ–XVᵉ siècle
→ Sous la domination anglaise, la porte est intégrée au système défensif décrit sur le plan de Bordeaux vers 1550. Elle commande l’accès au quartier Saint-Seurin.
→ Le nom évolue : De Jaux, Des Jaux, Dijeaux.

🏰 1550
→ La porte médiévale apparaît encore sur les plans de Bordeaux. Pas de monumentalité, mais une structure de défense fonctionnelle.

🏗️ XVIIIᵉ siècle – 1748 à 1753
→ Démolition de la vieille porte médiévale dans le grand mouvement d’ouverture voulu par l’intendant Tourny ; construction d’une porte monumentale par l’architecte André Portier dit Voisin, auteur de plusieurs projets urbains pour Bordeaux.

🎨 1753
→ Achèvement de la porte actuelle : arc en plein cintre, décors sculptés, fronton allégé. Une « porte » qui n’est plus une fortification, mais une parure urbaine.

💫 XIXᵉ–XXᵉ siècle
→ La porte devient un point de passage central et commercial, entourée par la rue Porte Dijeaux, ouverte vers la place Gambetta (anciennement place Dauphine / place Nationale), qu’elle a longtemps reliée directement.


🟫 Avant la pierre blonde : la porte Dijeaux médiévale

La première porte Dijeaux n’avait rien du monument gracieux que tu connais. À l’époque où Bordeaux était ceinturée de murailles, la porte occidentale était une porte de défense, simple, solide, sentinelle de pierre ouvrant vers les chemins hors-les-murs.

Porte Dijeaux Bordeaux 1500 - Source Selene
Porte Dijeaux Bordeaux 1500 – Source https://selene.bordeaux.fr/

Elle apparaît dans les documents médiévaux sous les formes Porta Judea, Porta de Jaux, Porte des Jaux, puis Dijeaux. Ces variations n’ont rien d’inhabituel : les scribes médiévaux écrivent selon les usages du moment. O’Reilly, dans ses descriptions détaillées des fortifications, confirme la présence de la porte dans l’enceinte qui se dirige vers Saint-Seurin.

Cette porte contrôle un axe essentiel : le chemin du Médoc et celui menant à Saint-Seurin, haut lieu religieux et funéraire depuis l’Antiquité. À l’intérieur, elle arrive vers ce qui deviendra plus tard la place Dauphine, puis place Nationale, puis place Gambetta.

À l’extérieur, elle ouvre sur les faubourgs, les terrains encore humides et les jardins qui constituaient le Bordeaux suburbain.

Henri Levesque, flâneur du XIXᵉ siècle, rappelle dans ses Promenades que certaines portes médiévales « ne présentaient aucune majesté, mais seulement la dure nécessité de défendre » — description qui correspond parfaitement à la porte Dijeaux primitive.


🟨 Le grand tournant du XVIIIᵉ siècle : Tourny fait tomber les murailles

Au XVIIIᵉ siècle, Bordeaux n’est plus une ville qui se barricade : c’est une ville qui s’ouvre. Le commerce atlantique explose, les quais se transforment, les remparts deviennent étouffants. L’intendant Tourny, arrivé en 1743, lance un vaste programme d’embellissement urbain. Les portes médiévales, devenues inutiles, sont démontées. Leur rôle défensif a disparu. La porte Dijeaux entre dans cette grande opération de modernisation.

Porte Dijeaux Bordeaux 1748 - Source Selene
Porte Dijeaux Bordeaux 1748 – Source https://selene.bordeaux.fr/

Les Archives municipales confirment que la vieille porte est abattue et remplacée par une porte monumentale entre 1748 et 1753, dans un style néoclassique conforme aux ambitions urbaines du siècle. L’architecte André Portier dit Voisin conçoit une porte qui n’est plus un obstacle, mais un signal urbain : un arc de triomphe local, célébrant l’entrée dans la ville modernisée.


🟦 La porte Dijeaux actuelle : un arc de pierre dans une ville nouvelle

Inaugurée en 1753, la porte Dijeaux que tu vois aujourd’hui n’est donc pas la descendante directe des fortifications, mais leur héritière symbolique.

Son style :

  • un arc en plein cintre,
  • sobrement décoré,
  • pierres blondes soigneusement appareillées,
  • un esprit proche des portes romaines réinterprétées par le XVIIIᵉ siècle.

Elle dialogue avec les transformations voisines : la place Gambetta (alors place Dauphine, puis place Nationale) devient un carrefour urbain majeur. La rue Porte Dijeaux, déjà commerçante au XIXᵉ siècle, prend l’allure que tu lui connais aujourd’hui. La porte n’a plus jamais retrouvé une fonction défensive : elle est devenue une signature, un seuil, un repère.

Porte Dijeaux Bordeaux 1839 - Source Selene
Porte Dijeaux Bordeaux 1839 – Source https://selene.bordeaux.fr/

A observer sur la Porte Dijeaux

Sur le plan ornemental, la porte Dijeaux n’est pas une arcade dépouillée mais un véritable écrin sculpté en pierre de Frontenac, typique du style néoclassique bordelais du XVIIIᵉ siècle. Côté ville, le fronton est enrichi des armes de Bordeaux entourées de corne d’abondance et de palmes, symboles d’abondance et de prospérité, tandis que les attributs royaux – couronne et fleurs de lys – apparaissent sur la face extérieure, témoignant de la relation entre Bordeaux et la monarchie de l’époque.

Porte Dijeaux Bordeaux 1920 - Source Selene
Porte Dijeaux Bordeaux 1920 – Source https://selene.bordeaux.fr/

Des cartouches sculptés ornent les frontons avec des motifs allégoriques : l’un porte la date de 1748, l’autre représente notamment une tête de Neptune accompagnée de veaux marins, rappelant la dimension maritime et fluviale de la ville. Ces trophées, armoiries et reliefs donnent à la porte une richesse décorative qui la place parmi les entrées les plus ornées de Bordeaux, bien au-delà de sa simple fonction de seuil urbain.

La porte Dijeaux, une porte qui penche…

Un détail intrigue souvent l’œil attentif : la porte Dijeaux n’est pas parfaitement d’aplomb. Cette légère inclinaison, perceptible surtout lorsque l’on se place dans l’axe de la rue Porte Dijeaux, n’est ni un effet d’optique ni un caprice esthétique. Les sources indiquent que la porte monumentale du XVIIIᵉ siècle a été reconstruite sur un site déjà contraint par les vestiges des fortifications médiévales, dont les fondations, les fossés et les remblais subsistaient encore en profondeur au moment des travaux menés sous l’intendant Tourny.

L’implantation de la nouvelle porte a donc dû composer avec des sols remaniés, partiellement instables, issus du comblement des anciens fossés. Cette contrainte explique un très léger dévers, fréquent sur les ouvrages urbains du Bordeaux du XVIIIᵉ siècle édifiés sur d’anciens tracés défensifs, sans qu’aucune source ne mentionne un affaissement brutal ou un désordre structurel ultérieur. La porte Dijeaux penche ainsi discrètement, non par accident, mais comme une trace physique de l’empilement des siècles sous la pierre.


✨ FAQ pour briller en société

Pourquoi la porte s’appelle-t-elle “Dijeaux” ?
Les formes anciennes Jaux, Jaus, De Jaux ont évolué naturellement jusqu’à Dijeaux. Plusieurs hypothèses existent, mais aucune interprétation mythique n’est retenue : on suit simplement l’évolution orthographique attestée dans les documents médiévaux.

La porte Dijeaux faisait-elle partie du même rempart que la porte Cailhau ?
Oui ! Toutes deux appartenaient à la même enceinte médiévale, mais servaient des accès différents : Cailhau vers le fleuve, Dijeaux vers l’ouest intérieur.

Pourquoi a-t-elle été reconstruite au XVIIIᵉ siècle ?
Parce que Bordeaux voulait respirer. Les remparts n’étaient plus utiles et bloquaient l’urbanisation. Tourny les fait abattre et confie aux architectes la création de portes “monumentales”, décoratives plutôt que militaires.

Quel lien avec la place Gambetta ?
La porte commandait l’accès direct à l’espace devenu plus tard la place Dauphine / Nationale / Gambetta. Sans la porte Dijeaux, la place n’aurait jamais eu cette configuration d’entrée de ville.


📚 Sources

  • Abbé Patrice-John O’Reilly, Histoire complète de Bordeaux, XIXᵉ siècle – description des remparts et de la porte Dijeaux. Histoire_complète_de_Bordeaux_T…
  • Auguste Bordes, Histoire des monuments anciens et modernes de Bordeaux.
  • Henri Levesque, Promenades à travers Bordeaux, XIXᵉ siècle. promenades au travers de Bordea…
  • Archives municipales de Bordeaux – Livre des Bouillons, Livre des Privilèges, documents relatifs aux remparts et travaux du XVIIIᵉ siècle. livredesbouillonsarchi
  • Louis Desgraves, Évocation du vieux Bordeaux, Éditions de Minuit.
  • Sources complémentaires : plans anciens, notamment le plan de Bordeaux vers 1550 reproduit dans O’Reilly.

La Porte Dijeaux en photos

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