La commanderie templière de Bordeaux : histoire et vestiges
Si tu t’arrêtes un instant au milieu de la rue du Temple, tu as sous les pieds l’un des lieux les plus passionnants – et les plus invisibles – de tout le vieux Bordeaux. Aujourd’hui, tu ne vois que des boutiques, des façades bien alignées, des cages d’escaliers banales. Mais pendant des siècles, derrière ces murs, s’étendait un véritable petit monde : la commanderie des Templiers, puis des Hospitaliers, avec sa chapelle, son logis, sa cour, son puits, ses écuries, son jardin… et son rôle discret dans la vie de la ville.
Ce qui est frappant, c’est que cette commanderie templière n’a rien de légendaire : elle est solidement documentée par les textes anciens, les plans du XVIIIᵉ siècle et les observations archéologiques récentes. On peut dire où elle se trouvait, à quoi elle ressemblait, comment elle fonctionnait et même ce qu’il en reste encore aujourd’hui. Bref, la prochaine fois que tu remonteras la rue du Temple, tu sauras que tu marches littéralement sur les traces d’une “maison noble du Temple”… et pas sur un simple alignement d’immeubles.
⏳ La commanderie du Temple à Bordeaux : les grandes dates
Plutôt que de dérouler un cours magistral, voici les grandes étapes à garder en tête :
- 1159 : les Templiers s’installent à Bordeaux ; leur maison est attestée par les sources.
- Fin XIIᵉ – début XIIIᵉ siècle : construction de la chapelle du Temple, cœur spirituel de la commanderie.
- XIIIᵉ – XIVᵉ siècles : la maison se développe en véritable commanderie templière urbaine, avec logis, cour, dépendances et un réseau de terres à l’extérieur de la ville.
- 1312 : l’Ordre du Temple est supprimé ; la commanderie est transférée aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.
- XVIIᵉ – XVIIIᵉ siècles : la “maison de Malte” est encore bien visible dans les plans, avec chapelle, logis et vaste cour.
- 1796 : vente comme bien national, chapelle encore en “assez bon état”.
- 1804 : prolongement de la rue du Temple, qui coupe la cour et désarticule l’ensemble.
- XIXᵉ siècle : transformation en immeubles d’habitation ; la chapelle est englobée mais ses murs subsistent, en particulier au 16 rue du Temple.
🧭 Où était exactement la commanderie templière ?
Pour se repérer, imagine le Bordeaux médiéval comme un quadrilatère défini par la muraille antique. La commanderie du Temple s’adossait précisément à cette muraille, sur son côté nord, le long du côté est de l’actuelle rue du Temple, entre la rue Porte-Dijeaux et l’axe du futur cours de l’Intendance. Les textes le disent sans détour : on parle de
lou Temple, de domus Templi, de maison noble du Temple.

Drouyn résume très bien la situation en expliquant que la chapelle des templiers « existait encore dans le côté oriental de la rue à laquelle elle avait donné son nom » et que les dépendances s’étendaient au nord et à l’ouest, jusqu’à former une impasse au bout de la rue. Autrement dit : la rue du Temple ne traversait pas encore jusqu’au cours, elle venait buter sur la commanderie. Ce n’est qu’au début du XIXᵉ siècle que la voie a été percée jusqu’aux anciens fossés, en sacrifiant au passage une partie des bâtiments.

Aujourd’hui, si tu veux te placer “au milieu” de la commanderie templière, vise la zone autour du n°16 de la rue du Temple : c’est là que les archéologues ont retrouvé les vestiges les plus parlants.

🏛️ Anatomie d’une commanderie : cour, chapelle, logis et jardin
La commanderie bordelaise n’était pas une forteresse de roman ni un monastère recroquevillé sur lui-même. C’était un ensemble architectural complet, organisé comme une maison seigneuriale urbaine. On entrait depuis la rue du Temple par un portail donnant sur une cour intérieure. Au centre, un puits assurait l’approvisionnement en eau. Tout autour, les bâtiments se déployaient en U :
- au nord, le logis du commandeur, accolé à la muraille antique ;
- à l’est et au sud, des dépendances : remises, écuries, espaces de stockage ;
- du côté de la rue, la chapelle, qui constituait la façade la plus visible de l’ensemble.

Le logis, sur deux niveaux, abritait à la fois des pièces d’habitation et des espaces d’administration : on y gérait les baux, les rentes, les revenus des terres. Une pièce haute, adossée à la courtine romaine, servait de local d’archives, où l’on conservait les titres et les papiers de la commanderie. Un peu en retrait, un jardin complétait l’ensemble, à la fois potager et lieu de détente. L’ensemble formait une micro-seigneurie, en plein cœur de la ville, mais très clairement organisée pour fonctionner de façon autonome.
🛐 La chapelle du Temple : un sanctuaire encore présent dans les murs ⛪
La pièce maîtresse de la commanderie des templiers, c’est sa chapelle, qui a donné son nom à la rue et qui, surprise, n’a pas entièrement disparu.
Grâce aux relevés anciens et à l’étude archéologique de 2016, on sait qu’elle mesurait environ 22,6 mètres de long pour 7,2 mètres de large, avec une nef unique divisée en trois travées, voûtées en berceau légèrement brisé. Les murs latéraux étaient épaulés par six contreforts, trois de chaque côté, et percés de fenêtres à double ébrasement : largement ouvertes côté intérieur, plus étroites et légèrement ogivales côté extérieur.

Le chevet était plat, percé de trois baies alignées, légèrement inégales, qui éclairaient l’autel. L’ensemble évoque une chapelle sobre, mais soignée, parfaitement dans le style des constructions templières et hospitalières de province. Et le plus fascinant, c’est qu’une bonne partie de cette structure est encore là : au 16 rue du Temple, les murs de la chapelle, certaines baies bouchées, des pans du chevet sont intégrés dans l’immeuble actuel. Tu ne les vois pas forcément depuis la rue, mais l’ossature médiévale est bien là, en sous-œuvre, comme un fantôme de pierre.
Avec une vue satellite, on en distingue quelques éléments.
🏡 Vivre et administrer : le logis du commandeur et la vie quotidienne
À côté de la chapelle, le logis du commandeur donnait le ton. Ce n’était pas un château, mais une maison de bon niveau, digne de son statut :
- une grande salle pour recevoir,
- des pièces plus intimes pour la vie quotidienne,
- des chambres pour les frères résidant sur place,
- des pièces de travail pour gérer les affaires de la maison.
On y traitait des questions très concrètes : perception des revenus, rédaction des contrats, tenue des comptes, gestion des terres viticoles et céréalières que la commanderie possédait dans le Bordelais. On est loin du cliché du chevalier ne vivant que de batailles : à Bordeaux, les Templiers étaient aussi – et surtout – des gestionnaires de patrimoine.
La commanderie templière avait également une dimension d’accueil : voyageurs, pèlerins, pauvres pouvaient recevoir gîte ou assistance, selon les usages de l’ordre. Quand l’établissement passe aux Hospitaliers, cette dimension hospitalière devient encore plus nette, sans pour autant transformer le lieu en grand hôpital comme Saint-André : on reste sur une maison d’ordre, à la fois spirituelle, administrative et sociale.
🔥 Après les Templiers : Hospitaliers, Révolution et vente comme bien national
En 1312, lorsque l’Ordre du Temple est supprimé, la commanderie ne ferme pas ses portes. Tous les biens sont transférés aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. La maison du Temple devient alors une maison de Malte, qui continue globalement les mêmes fonctions : gestion des revenus, entretien des bâtiments, accueil de passage. Pendant plus de quatre siècles, la commanderie vit ainsi sa vie, s’adapte, se réaménage. Au XVIIIᵉ siècle, les plans de la ville montrent encore très clairement la cour, le logis, la chapelle, les dépendances. Rien n’annonce encore la fin.
La rupture arrive avec la Révolution. Les biens de l’ordre de Malte sont nationalisés, puis vendus. En 1796, la parcelle de la chapelle et une partie des bâtiments sont adjugées comme bien national. Les descriptions de l’époque insistent sur le fait que la chapelle est encore en « assez bon état ». On ne parle donc pas de ruine, mais d’un édifice qui tient encore debout.
Quelques années plus tard, en 1804, la ville décide de prolonger la rue du Temple jusqu’aux anciens fossés (l’actuel cours de l’Intendance). C’est ce percement qui fracture définitivement la commanderie : la cour est coupée, une partie du logis disparaît, l’organisation d’ensemble est perdue. La chapelle, elle, est convertie en remise, puis intégrée dans un immeuble du XIXᵉ siècle.
🧱 Ce qu’il reste aujourd’hui de la commanderie des templiers… et comment le voir 👀
En surface, la commanderie a pratiquement disparu : plus de portail, plus de cour, plus de clocher.
Mais en profondeur, elle est encore là.
Au 16 rue du Temple, les murs de la chapelle des templiers subsistent : maçonneries médiévales, arrachements de contreforts, traces de fenêtres bouchées. Les relevés montrent que l’immeuble actuel repose en grande partie sur les murs d’origine. On pourrait dire que le Bordeaux du XIXᵉ siècle a simplement mis un “costume neuf” sur une ossature du Moyen Âge.

Le nom de la rue, lui, n’a jamais changé. Et si tu y fais passer un visiteur en lui disant : “Ce nom, ce n’est pas une coquetterie : il vient vraiment de la maison du Temple qui était ici”, tu auras l’air très savant… et tu ne raconteras pas une légende, mais bien une réalité historique documentée.
🤓 FAQ pour briller en société
Y a-t-il vraiment eu une commanderie templière à Bordeaux ?
Oui, attestée par les textes médiévaux et par plusieurs auteurs (O’Reilly, Drouyn, Bernadau), puis confirmée par l’archéologie.
Où se trouvait-elle exactement ?
Le long du côté est de l’actuelle rue du Temple, adossée à l’ancienne muraille romaine, avec son cœur autour de l’actuel n°16.
Qu’est-elle devenue après la chute des Templiers ?
Elle a été reprise par les Hospitaliers de Saint-Jean à partir de 1312, puis vendue comme bien national en 1796, avant d’être morcelée et englobée dans les immeubles modernes.
Peut-on encore voir quelque chose de la commanderie templière ?
En façade, non. Mais dans la structure même de certains immeubles (notamment au 16 rue du Temple), subsistent des pans de murs et des éléments de la chapelle médiévale.
Pourquoi la rue s’appelle-t-elle toujours “rue du Temple” ?
Parce que la chapelle et la maison du Temple étaient le repère principal du secteur. Le nom a survécu aux Templiers, aux Hospitaliers, à la Révolution… et même aux vitrines de prêt-à-porter. 😉
📚 Sources
- Xavier Roborel de Climens, « Les vestiges de la chapelle des Templiers à Bordeaux, 16 rue du Temple », Revue archéologique de Bordeaux, 2016. – https://www.societe-archeologique-bordeaux.fr/images/stories/PDF/Revue2016/RAB107_2016_173-182_Roborel.pdf
- Léo Drouyn, Bordeaux vers 1450.
- Patrice-John O’Reilly, Histoire complète de Bordeaux.
- Bernadau, Le Viographe bordelais.
- Plans anciens de Bordeaux (plan de 1772, cadastre napoléonien, archives municipales).
Images de la Commanderie templière









