Incendie du port de Bordeaux en 1869 : quand le feu se met à courir sur la Garonne
À Bordeaux, le fleuve a longtemps été perçu comme une protection naturelle contre l’incendie. L’eau pour isoler, l’eau pour éteindre, l’eau pour contenir. Le 28 septembre 1869, cette certitude s’effondre. Ce jour-là, le port assiste à une scène aussi spectaculaire qu’inquiétante : la Garonne elle-même devient un vecteur de feu 🔥. Une allège chargée de pétrole explose, s’embrase, puis répand à la surface du fleuve une nappe incendiaire qui va toucher dix-sept navires. Jamais auparavant un incendie portuaire bordelais n’avait pris une telle ampleur… ni une forme aussi déroutante.
Un port au sommet de son activité… et de sa vulnérabilité
À la fin du XIXᵉ siècle, le port de Bordeaux est l’un des plus actifs de France. Les quais sont saturés, les mouillages serrés, les navires nombreux et chargés de marchandises variées : bois, alcools, huiles, denrées coloniales, mais aussi, de plus en plus, produits pétroliers. Ces nouvelles cargaisons incarnent le progrès industriel… tout en introduisant des risques encore mal compris.
Les navires sont souvent amarrés bord à bord. Une avarie grave, un incendie mal maîtrisé, peut rapidement se propager de coque en coque. Le feu est un danger connu, mais on ne l’imagine pas encore capable de courir sur l’eau.
L’allège de pétrole et l’explosion initiale
Le 28 septembre 1869, une allège nommée La Trinité circule sur la Garonne. Elle transporte une cargaison particulièrement sensible : 950 caisses de pétrole, conditionnées dans des caisses en zinc. À la suite d’une explosion – dont l’origine exacte n’est pas déterminée – l’embarcation est immédiatement la proie des flammes.
À bord, deux hommes sont gravement brûlés :
– le patron de l’allège,
– un préposé des douanes chargé de la surveillance de la cargaison.

Les deux hommes, le visage, les mains et les jambes brûlés, se jettent à l’eau et parviennent à rejoindre la rive. Le rapport de l’époque est formel : aucune victime mortelle n’est à déplorer, mais les blessures sont sérieuses.
La dérive en flammes et l’échouage aux Queyries
L’allège en feu, livrée au courant, dérive sur la Garonne sous les yeux des équipages et des riverains. Finalement, elle vient s’échouer sur le banc de sable des Queyries, sur la rive droite. Cet échouage limite sa progression vers les zones les plus denses du port, mais il ne met pas fin au danger.

La coque endommagée laisse échapper sa cargaison. Le pétrole se répand à la surface du fleuve, s’enflamme et forme une nappe de feu mobile, poussée par le courant. Le phénomène est aussi rare que terrifiant : le feu flotte, avance, se déplace, et va toucher les bâtiments rencontrés sur son passage.
Dix-sept navires brûlés : un incendie en chaîne
À partir de ce moment, l’incendie change d’échelle. Le feu ne se limite plus à l’allège La Trinité. La nappe enflammée s’attache aux flancs des navires mouillés dans le port. En l’espace de quelques heures, dix-sept navires sont atteints et brûlent, parfois simultanément, sur différents points de la rade.

À minuit, les témoins rapportent que seize navires brûlent à la fois. Certains sont totalement détruits, d’autres gravement endommagés. Le document dresse même une liste précise des bâtiments perdus, parmi lesquels figurent notamment Moïse, Tourny, Jeune-Amélie, Deux-Frères ou encore Saint-Joseph.
D’autres navires, comme le Léon, le Lormont ou la Joséphine-Marie, ne coulent pas mais subissent des avaries importantes, tandis que plusieurs bâtiments sont signalés comme légèrement atteints. Au total, l’incendie touche une large portion du mouillage, démontrant à quel point le feu, une fois libéré sur l’eau, peut devenir incontrôlable.
Quand la Garonne devient un piège 🔥🌊
Pour les Bordelais présents ce soir-là, la scène est profondément contre-intuitive. Le fleuve, censé protéger le port, devient au contraire un vecteur de propagation. Le feu glisse à la surface de l’eau, contourne les obstacles, atteint des navires pourtant éloignés de l’allège initiale.
Les méthodes habituelles de lutte contre l’incendie se révèlent largement inefficaces. Arroser une nappe de pétrole en feu ne l’éteint pas. Isoler les navires est difficile dans un port encombré. L’intervention consiste surtout à limiter les dégâts, à couper les amarres quand c’est possible, et à empêcher que l’incendie ne gagne les quais.
Un sinistre colossal… sans morts
Le caractère presque miraculeux de l’événement tient à un point essentiel : aucune victime mortelle n’est recensée. Compte tenu de la violence du sinistre, du nombre de navires touchés et de la nature de la cargaison, le bilan humain aurait pu être dramatique.
Le bilan matériel, en revanche, est considérable. Les pertes sont estimées, selon les évaluations de l’époque, à 25 à 30 millions de francs, somme colossale pour le XIXᵉ siècle. À cela s’ajoutent les perturbations majeures de l’activité portuaire et commerciale.
Un incendie d’un genre nouveau
L’incendie du port de Bordeaux en 1869 se distingue par sa nature industrielle. Ce n’est plus seulement le bois, l’alcool ou le chanvre qui brûlent, mais un produit énergétique nouveau, aux propriétés mal maîtrisées. Le pétrole introduit un type de feu :
- flottant,
- mobile,
- difficilement maîtrisable.
Cet événement marque une rupture. Il montre que le progrès technique apporte avec lui des dangers inédits, capables de remettre en cause les certitudes les mieux ancrées.
Une leçon durable pour le port de Bordeaux
L’incendie du 28 septembre 1869 ne rase pas les quais, mais il marque durablement les esprits. Il révèle la fragilité du port face aux nouveaux produits industriels et annonce les grands sinistres portuaires du XXᵉ siècle, où les pertes humaines et matérielles seront parfois bien plus lourdes.
Ce jour-là, Bordeaux comprend que le feu ne vient plus seulement de la terre ferme. Il peut surgir du fleuve lui-même, et se déplacer avec lui. Une leçon apprise au prix de dix-sept navires et de millions de francs… mais, heureusement, sans morts.
FAQ pour briller en société ✨
Combien de navires ont été détruits lors de l’incendie de 1869 ?
👉 Dix-sept navires ont brûlé, certains entièrement, d’autres partiellement.
Y a-t-il eu des morts ?
👉 Non. Les sources indiquent aucun décès, mais deux hommes grièvement brûlés.
Quelle était la cargaison à l’origine du sinistre ?
👉 950 caisses de pétrole, transportées par l’allège La Trinité.
Pourquoi le feu s’est-il propagé si vite ?
👉 Parce que le pétrole flotte et reste inflammable à la surface de l’eau.
Sources 📚
- L’incendie dans le port de Bordeaux – 28 septembre 1869, document contemporain
- Archives municipales de Bordeaux
- Presse bordelaise et nationale du XIXᵉ siècle (BNF / Gallica)
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