Les rats du Peugue : quand Bordeaux dut affronter son “grand égout” au XVIIIème siècle

Faits Divers
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On connaît le Bordeaux du XVIIIᵉ siècle comme une ville de marbre, de façades blondes et de négociants élégants. Mais derrière les hôtels particuliers et les charrettes de barriques, il existait un monde beaucoup plus… vivant. Littéralement 🐀.

Entre la rue du Mirail, le cours Alsace-Lorraine actuel et les anciens fossés de la ville, coulait à ciel ouvert le Peugue, ce petit ruisseau que l’on qualifierait aujourd’hui de “collecteur un peu chargé”. Les Bordelais le décrivaient plus honnêtement comme un égout naturel — une sorte de Garonne miniature, mais parfumée.
Et parfois, quand la chaleur montait ou qu’un hiver humide avait favorisé la reproduction des indésirables, Bordeaux devait affronter la menace : les rats du Peugue. Les archives municipales nous ont conservé plusieurs épisodes où la Jurade dut intervenir d’urgence pour éviter que les rongeurs ne transforment la cité en remake du Pied Piper of Hamelin 🌡️🐁.

🟣 Timeline – Les faits documentés dans les archives

Les références proviennent principalement des Archives municipales de Bordeaux, notamment les séries issues du Livre des Bouillons et des registres de police municipale du XVIIᵉ siècle.

  • 1656–1664 : mentions récurrentes des “ordures accumulées au Peugue”, rue du Mirail et faubourg Saint-Michel.
  • 1671 : plainte officielle des habitants : “grande quantité de rats s’élevant du Peugue jusque dans les maisons”. (Délibérations de la Jurade – Archives municipales).
  • 1672 : la Ville ordonne l’ouverture et le curage complet du Peugue “depuis la porte du Mirail jusqu’à la Devise”, mobilisant ouvriers, charretiers et bateaux d’enlèvement.
  • 1678 : nouvelle opération de salubrité, coût total estimé : 1 200 livres — soit environ 2 000 à 3 000 € actuels selon équivalences monétaires.
  • 1681 : décision de renforcer les ripisylves (talus) pour éviter l’effondrement des berges, cause de refuges pour les rongeurs.

🟣 Les rats du Peugue : un fléau très officiel

Imagine un petit cours d’eau serpentant dans la ville, recevant à la fois les eaux usées, les rejets des teinturiers et parfois des dépouilles animales. Ajoute à cela l’absence de collecte régulière. Résultat : un spa 5 étoiles pour rongeurs. Les jurats parlent d’ailleurs dans les registres de “multiplication dangereuse” — un terme élégant pour éviter d’écrire “bordel généralisé” 😅.

Le Peugue - Vue Rue Dufau
Le Peugue – Vue Rue Dufau – Source : https://selene.bordeaux.fr/

Le Peugue passait alors à ciel ouvert :

  • rue du Mirail,
  • place Fernand-Lafargue,
  • quartier Saint-Éloi,
  • puis rejoignait le fleuve vers la Devise (actuelle rue de la Devise).

Les habitants signalent que les rats montaient jusque dans les étages : les boulangers du Mirail se plaignent d’attaques sur les sacs de farine, les taverniers de la Devise de bouteilles rongeées.

🟣 Les mesures d’urgence décidées par la Jurade

Les archives montrent un vrai plan d’action, presque “anti-rat” avant l’heure :

1️⃣ Curage intégral du Peugue

La Ville réquisitionne des ouvriers spécialisés dans le “curage d’égouts anciens”.

On ordonne “de lever et remuer les immondices du ruisseau, pour empêcher les animaux nuisibles d’y élire refuge”
(Archives municipales – Livre des Bouillons )

Coût :

  • 1 000 à 1 200 livres (≈ 2 000 – 3 500 € actuels),
  • soit sept mois du salaire d’un charpentier de la Jurade.

2️⃣ Mise en place de trappes et destruction des nids

Les jurats allouent jusqu’à 30 livres à certaines maisons pour boucher les interstices (≈ 60 € actuels).

3️⃣ Interdiction temporaire de jeter déchets et chairs animales dans le Peugue

Ordre renouvelé plusieurs années de suite… c’est dire son efficacité.

🟣 Mais pourquoi une telle invasion ? Le contexte sanitaire

Le XVIIᵉ siècle est marqué par :

  • une démographie en hausse,
  • davantage d’ateliers polluants (tanneurs, teinturiers),
  • un réseau d’égouts quasi inexistant.

Le Peugue devient alors un collecteur hybride : mi-rivière, mi-décharge. Les rats prolifèrent à cause :

  • du niveau d’eau bas en été,
  • des déchets organiques,
  • du manque de curage pendant plusieurs années.
Le peugue - Lavoirs au bord du peugue
Lavoirs au bord du Peugue – Source : https://selene.bordeaux.fr/

Au passage, c’est ce même Peugue qui, lors de l’épidémie de peste de 1652, fut accusé de “miasmes” ayant aggravé la situation, ce qui explique la sévérité des mesures des années suivantes.

🟣 La fin du Peugue visible : la solution radicale

À partir du XVIIIᵉ siècle, Bordeaux réaménage son centre :

  • le Peugue est progressivement recouvert,
  • puis intégré dans les égouts souterrains,
  • et disparaît totalement du paysage au XIXᵉ siècle, sous l’action de la municipalité moderne.
Rue du Peugue
Rue du Peugue – Source : https://selene.bordeaux.fr/

C’est un peu triste pour les amateurs de rivières historiques… mais certainement une bonne nouvelle pour ceux qui détestent les rongeurs.

🔍 FAQ pour briller en société

👉 Le Peugue existe-t-il toujours ?

Oui, mais il coule entièrement sous terre, intégré au réseau d’égouts. Tu marches dessus tous les jours sans le savoir.

👉 Les rats étaient-ils un vrai danger ?

Oui : risques de contamination, destruction des réserves alimentaires, effondrement de berges… C’était considéré comme une menace sanitaire majeure.

👉 Peut-on encore voir son tracé ?

Certains tronçons peuvent être identifiés sous le cours Alsace-Lorraine et rue du Mirail. L’ancien lit est bien documenté dans Évocation du Vieux Bordeaux de Desgraves .

📚 Sources et références

  • Archives municipales de Bordeaux, Livre des Bouillons, série en ligne et volumes imprimés (1867). Episodes liés au curage du Peugue, police municipale et dépenses de salubrité.
  • Louis Desgraves, Évocation du Vieux Bordeaux, 1960, sur le tracé ancien des cours d’eau .
  • Maurice Ferrus, Le Touriste à Bordeaux, passages sur le Peugue et la Devise .
  • Henri Gradis, Histoire de Bordeaux, XVIIIᵉ siècle : salubrité et administration municipale .
  • Archives municipales – Livre des Coutumes et Livre des Privilèges, mentions des fossés, voirie et salubrité urbaine.

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