Les abattoirs particuliers de Bordeaux : du sang dans les ruelles à la renaissance des quais

Lieux et monuments
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Avant les réfrigérateurs, avant les supermarchés et même avant les halles, Bordeaux sentait… la viande fraîche 😅. Oui, au sens littéral ! Dans le cœur ancien de la ville, entre la rue du Mu, la rue des Trois-Canards et les quais, on abattait les bêtes à deux pas des habitations.

On appelait cela les tueries particulières, ces abattoirs privés où chaque boucher égorgeait son bétail dans sa cour. Les pavés ruisselaient, les chiens rôdaient, et les plaintes montaient jusqu’à l’hôtel de ville.
C’est ici que naît l’une des pages les plus… odorantes de l’histoire bordelaise 🐂.

🕰️ Timeline historique

📜 XVe – XVIIIᵉ siècle → Les bouchers abattent directement dans leurs échoppes ou sur les quais.
🐄 Début XIXᵉ siècle → Explosion du nombre de tueries particulières, notamment rue du Mu et rue des Trois-Canards (rues disparues proches de l’actuelle rue Saint-Rémi)
🤢 1826 → Le conseil municipal s’alarme : odeurs, sang dans les caniveaux, plaintes d’habitants. Interdiction progressive des abattoirs privés.
🏗️ Milieu du XIXᵉ siècle → Construction des abattoirs publics de Paludate, qui centralisent l’abattage.
🏭 XXᵉ siècle → Fermeture des abattoirs de Paludate, puis reconversion du quartier.
🎨 XXIᵉ siècle → Le site renaît sous la forme de la MÉCA, haut lieu culturel de la Nouvelle-Aquitaine.

💀 Quand Bordeaux saignait dans ses ruelles

Dans son Viographe bordelais, Pierre Bernadau décrit un Bordeaux où « les rues du vieux centre charriaient plus de sang que de pluie ». À cette époque, on égorgeait les bêtes à ciel ouvert, souvent au rez-de-chaussée des maisons.

Un rapport d’archives de 1826 évoque les tueries de la rue du Mu, de la rue des Trois-Canards et de la rue du Muguet :

« Les habitants se plaignent d’une puanteur insupportable ; le sang s’infiltre jusque dans les caves, et les enfants jouent au milieu des déchets. »

La scène est posée : les entrailles à ciel ouvert, les eaux rougies descendant vers la Garonne, les chiens errants disputant les morceaux. Oui, ça fait envie ! L’hygiène publique n’était encore qu’un concept, et le scandale finit par éclater.

rue du mu bordeaux
Dessin : Vue des n° 6, 4 et 2 de la rue du Mû (vue) Cote: Del.carton 30/46 (1) Type de document: Dessin

🏚️ La rue du Mu, symbole du désordre

La rue du Mu, qui relie aujourd’hui la place du Parlement à la rue Saint-Rémi, était au cœur du problème.
Son nom vient du « muge » (ou mulet), poisson abondant autrefois sur les quais 🐟.
Mais au XIXᵉ siècle, on y voyait surtout circuler le bétail et le sang des tueries.

👉 Lire l’histoire complète de la rue du Mu ici

Les archives municipales recensent jusqu’à neuf abattoirs privés dans ce secteur.
Un inspecteur de police écrivit même :

« Les eaux rouges descendent la rue du Mu vers la place du Parlement, mêlant le sang des bêtes au vin des marchands. »

Ce chaos fit de cette ruelle un cas d’école pour les hygiénistes du XIXᵉ siècle : il fallait séparer la ville de la boucherie.

🏗️ Paludate : la ville passe du sang à la vapeur

Pour résoudre le problème, Bordeaux décida de regrouper les activités d’abattage dans un site unique : les abattoirs publics de Paludate. Édifiés sous le Second Empire, ils constituaient une prouesse technique pour l’époque : gestion des eaux usées, zones séparées pour le bétail, chambres froides, rendus industriels.

Abattoirs municipaux de bordeaux 1850
Bordeaux, quartier Sainte-Croix, place André-Meunier : abattoirs municipaux Tiré de « Histoire des monuments anciens et modernes de la ville de Bordeaux » par Auguste Bordes d’après le catalogue https://selene.bordeaux.fr/ark:/27705/330636101_DELCARTON_9_2/v0001.simple.selectedTab=record

Leur construction marqua la fin d’un monde : celui de la tuerie artisanale dans les ruelles du centre-ville.
Pendant plus d’un siècle, Paludate sera le ventre de Bordeaux — avant d’être, ironie de l’histoire, transformé en espace culturel avec la MÉCA.

Abattoirs de bordeaux quai de Paludate
Abattoirs de Bordeaux Quai de Paludate, années 50

Aujourd’hui, à la place des cris et des odeurs, ce sont les œuvres d’art contemporain qui s’exposent sur les quais… Une belle revanche du temps 🎨.

💬 FAQ pour briller en société 🤓

🩸 Qu’était une “tuerie particulière” ?
Un abattoir privé appartenant à un boucher, installé dans sa propre boutique ou cour intérieure.

🏘️ Où étaient-elles situées ?
Principalement autour de la rue du Mu, rue des Trois-Canards, rue du Muguet et rue des Faussets.

🚫 Pourquoi ont-elles disparu ?
Elles posaient de graves problèmes d’hygiène et de salubrité publique. Leur interdiction fut actée en 1826.

🏭 Où se trouvaient les abattoirs publics ?
Sur les quais de Paludate, à proximité de la Garonne — aujourd’hui le site de la MÉCA.

🎨 Que reste-t-il de cette époque ?
Des documents d’archives, quelques mentions dans les chroniques de Bernadau, et les noms de rues… traces discrètes d’un Bordeaux plus viscéral qu’on ne l’imagine.

📚 Sources et liens

  • Tueries rue des Trois-Canards, rue du Mu et autres lieux, Cahiers d’Archives, n°107 (1826)
  • Revue Historique de Bordeaux et du département de la Gironde, 1911 — Persee.fr
  • Le Viographe bordelais, Pierre Bernadau, 1825 — BnF/Gallica
  • Le touriste à Bordeaux, Maurice Ferrus, 1927 — Gallica
  • Histoire complète de Bordeaux, abbé O’Reilly, tomes III & IV — Gallica
  • Article Vieux-Bordeaux.fr : “La rue du Mu”

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