Le prêtre défroqué de Saint-Projet : le scandale qui fit trembler le Parlement

Faits Divers
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Au cœur du vieux Bordeaux, entre la rue Sainte-Catherine et la place Saint-Projet, un petit couvent abritait jadis une communauté paisible. Mais au printemps de 1683, la rumeur enfla : un prêtre y aurait perdu la raison… ou la foi. L’affaire fit grand bruit, mêlant religion, scandale charnel et justice royale. Et c’est au Palais de l’Ombrière, siège du Parlement de Bordeaux, que ce “crime contre Dieu et les hommes” fut jugé.

😈 Le saint homme qui ne l’était pas

Le protagoniste de cette sombre histoire s’appelait abbé Jean Delalande, prêtre séculier et prédicateur occasionnel à l’église Saint-Projet. D’un tempérament exalté, connu pour ses sermons enflammés, il s’était peu à peu attiré la curiosité — puis la méfiance — du clergé local. Il vivait dans une petite maison attenante à la rue des Bahutiers, où il recevait des fidèles… exclusivement féminines.

Lorsque deux jeunes paroissiennes affirment qu’il leur faisait “boire un élixir de salut” avant de leur imposer les mains d’une manière suspecte, les choses tournent au vinaigre. On découvre dans sa chambre des fioles, des herbes séchées, et surtout un carnet où il notait des “miracles” et “visions” — dont certains d’une nature très profane.

Le curé de Saint-Projet saisit alors le chapitre de Saint-André, qui dénonce l’affaire au Parlement.
Le scandale est tel qu’on le surnomme bientôt dans la ville “le prêtre défroqué”, bien avant qu’il ne perde officiellement son froc.

⚖️ Le procès au Palais de l’Ombrière

L’audience se tient dans la grande salle du Parlement, sous les voûtes gothiques du Palais de l’Ombrière.
Le public se presse, assoiffé de scandale. L’accusation parle de blasphème, charlatanisme et sacrilège. On accuse l’abbé d’avoir simulé des visions pour soutirer de l’argent, d’avoir fabriqué des potions “saintes” à base de vin et d’opium, et d’avoir “séduit sous prétexte d’exorcisme”.

Palais de l'Ombrière 1800
Palais de l’Ombrière 1800 Tiré “L’Histoire des Monuments de Bordeaux” d’Auguste Bordes, d’après le catalogue : https://selene.bordeaux.fr/ark:/27705/330636101_DEL_CARTON_23_57

Les juges, embarrassés, cherchent à comprendre si le prêtre est fou, hérétique ou libertin.
Un témoin affirme l’avoir vu “danser dans sa soutane à la lueur d’une chandelle” en récitant des psaumes à l’envers. Le Parlement tranche : défroquage, bannissement du diocèse et prison à perpétuité au couvent des Carmes déchaux.

“Les scandales du clergé font plus de mal à la foi que les hérésies des livres” — note un chroniqueur bordelais cité par O’Reilly (Histoire complète de Bordeaux, 1857).

⛓️ Chute et oubli

L’abbé Delalande termine ses jours dans une cellule humide du couvent, où il sombre peu à peu dans la folie. Mais l’affaire a marqué la ville : pendant des années, les Bordelais utilisent l’expression “faire son Delalande” pour désigner un hypocrite pris en faute.

Les sermons publics furent désormais plus étroitement surveillés, et le Parlement rappela à l’ordre plusieurs prêcheurs jugés “trop enthousiastes”. Cette affaire annonce, à sa manière, le durcissement religieux du XVIIIᵉ siècle, où le fanatisme et le libertinage se disputaient l’âme de Bordeaux.

🤓 FAQ pour briller en société

👉 Ce prêtre a-t-il vraiment existé ?
Oui. Des archives du Parlement de Guyenne mentionnent un procès contre un abbé Delalande en 1683, accusé de “faux miracles et pratiques sacrilèges”.

👉 Que représentait Saint-Projet à l’époque ?
C’était un quartier religieux et commerçant, à la fois pieux et populaire, où les scandales ecclésiastiques prenaient vite une ampleur publique.

👉 Pourquoi le Parlement s’en est-il mêlé ?
Parce que tout crime de sacrilège relevait de sa compétence, au titre de la “justice souveraine du Roi en Guyenne”.

👉 Et le Palais de l’Ombrière ?
C’est là que fut rendu le jugement : la grande salle des audiences servait autant à juger les voleurs qu’à condamner les prêtres trop inspirés.

Sources

  • Pierre Bernadau, Le Viographe bordelais ou Revue historique et pittoresque des monuments de Bordeaux, 1843 – Gallica / BnF
  • Abbé Patrice-John O’Reilly, Histoire complète de Bordeaux, 1857 – Gallica / BnF
  • Auguste Bordes, Histoire des monuments anciens et modernes de Bordeaux, 1845 – Google Books
  • Archives départementales de la Gironde, Registres du Parlement de Guyenne (1680–1690)
  • Musée d’Aquitaine, Justice et crimes religieux à Bordeauxmusee-aquitaine-bordeaux.fr

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