L’horloge de la Grosse Cloche (Bordeaux) : histoire, mécanisme

Quand on parle de l’horloge de la Grosse Cloche, on parle d’un monument vivant. Blottie dans la porte Saint-Éloi (XVe s.), la “Grosse Cloche” a vu défiler des jurats, des vendanges, des révoltes… et des milliers de regards curieux. Son horloge, elle, a une histoire tout aussi savoureuse : une première grande version en 1567, une refonte spectaculaire en 1759 par un mathématicien bordelais (Paul Larroque), un cadran “astronomique” qui corrigeait l’heure du soleil, et un entretien encore manuel de nos jours. Bonne nouvelle : on peut la visiter et même entendre la cloche lors de dates symboliques — et le premier dimanche du mois. Ici, on déroule tout ça sans jargon : l’histoire, le mécanisme (avec des mots simples), et le portrait du maître-horloger qui lui dit bonjour chaque semaine.

5 éléments à retenir

1. L’horloge de la Grosse Cloche est installée dans l’ancienne porte Saint-Éloi, cœur historique de Bordeaux. Elle date, dans sa version actuelle, de 1759 (Paul Larroque).
2. Elle fut précédée d’une horloge de 1567 (plan de Guylhem Royer, exécution par Raymond Sudre).
3. Son cadran sud comportait un cadran à “équation du temps” (pour corriger l’heure solaire) — une vraie horloge astronomique de ville.
4. La cloche actuelle, Armande-Louise, a été coulée en 1775 (≈ 7 800 kg, ≈ 2,1 m de diamètre).
5. Aujourd’hui, un maître-horloger remonte l’horloge chaque semaine et veille à sa précision. Des visites guidées (30 min, le samedi) permettent d’apercevoir le mécanisme.

L’horloge de la Grosse Cloche de Bordeaux : petite histoire très utile

La Grosse Cloche, c’est d’abord la porte Saint-Éloi, beffroi municipal des anciens Bordelais. Après la révolte de 1548, on enlève cloches et horloges ; elles ne reviendront qu’en 1561. Dans la foulée, la ville décide de reconstruire son horloge : 1567 voit naître un projet très détaillé (longueur de la verge d’aiguille, nombre de roues, etc.) : plan par Guylhem Royer, exécution offerte par Raymond Sudre. Déjà à l’époque, on ne plaisantait pas avec la précision.

Deux siècles plus tard, Paul Larroque, mathématicien et astronome bordelais, conçoit une nouvelle horloge : achevée et réglée fin septembre 1759, elle séduit par sa régularité et par une coquetterie d’astronome : il y « joint le mouvement du globe lunaire ». Les jurats le remercient à hauteur de 3 000 livres et lui confient le réglage quotidien, à l’époque réalisé par observations astronomiques. (En clair : on regarde le ciel pour régler l’heure de la ville.)

Côté bronze, la cloche actuelle — Armande-Louise — est coulée en 1775 par le fondeur Turmel/Turmeau. Les sources anciennes détaillent son poids (≈ 7 800 kg), ses dimensions (≈ 2,04–2,10 m) et sa décoration (armes de France et de la ville, parrain/marraine prestigieux). On y lit même un distique latin qui résume ses “pouvoirs” ; en français, un auteur du XIXᵉ retient : « J’appelle aux armes, j’annonce les jours, je donne les heures… » — le reste parle d’orage, de fêtes et d’incendies. Ça pose une cloche.

Quand sonne-t-elle ? Traditionnellement lors de cinq grandes dates (1ᵉʳ janvier, 8 mai, 14 juillet, 28 août, 11 novembre). Et depuis 2016, tous les premiers dimanches du mois : un bon plan photo et émotion.

Minute “archive” : en 1775, la cloche fut “montée au haut des tours en moins d’une heure”… et certains jurats, anoblis pour l’occasion, furent surnommés « les nobles de la cloche ». (Oui, c’est authentique.)

Le mécanisme et le fonctionnement de l’horloge de la Grosse Cloche

Comment ça marche, sans les mots compliqués

Imaginez un poids lourd accroché à une corde : en descendant lentement, il donne l’énergie à une série de roues dentées (les “rouages”). Un pendule cadence tout le monde (tic-tac régulier). Les aiguilles suivent la danse ; une commande de sonnerie déclenche les coups sur la cloche. C’est l’horloge mécanique de base, robuste, lisible… et entièrement remontée à la main (on remonte les poids).

La touche “astro” bordelaise

Côté cadran sud (vers la rue Saint-James), Larroque installe en 1759 un cadran à équation du temps dans un fronton en demi-lune. L’idée ? L’heure solaire (celle d’un cadran solaire) n’est pas exactement la même que l’heure moyenne de nos montres ; l’écart varie au fil de l’année (jusqu’à ± 1 quart d’heure). Ce petit cadran indiquait combien de minutes ajouter ou retrancher pour corriger l’heure. Pas besoin d’être astronome : c’est une aide-mémoire pratique, et une signature élégante de l’horlogerie bordelaise.

Modernisations… raisonnables

L’horloge du XVIIIᵉ a été conservée ; en 1912, l’horloger-mécanicien Gaston-Jean Guignan en simplifie le mécanisme (remplacement de certaines pièces, rationalisation des rouages). Le monument a été récemment restauré et régulièrement entretenu ; la lisibilité des cadrans et l’éclairage nocturne font l’objet de discussions… depuis 1917 ! On lisait déjà alors que la suppression de rayons dorés avait « rompu l’harmonie décorative » du cadran. Comme quoi, les débats sur l’esthétique urbaine ne datent pas d’hier.

Petit bijou d’archive : les érudits du XIXᵉ expliquent que l’horloge « donnait l’heure à toute la région bordelaise » et que son réglage se faisait par observation des astres — d’où l’importance d’un savant comme Larroque.

L’horloger aujourd’hui de la Grosse Cloche

Une horloge mécanique, ça ne marche pas tout seul : il faut un humain pour l’écouter, la remonter, la régler. À Bordeaux, ce rôle revient à Jean-Louis Duverger (atelier L’Horlogerie d’Antan). Son geste le plus visible : remonter l’horloge chaque semaine. Sans ça, les poids touchent le sol et… plus d’heure. Mais le métier ne s’arrête pas là. L’horloger nettoie, lubrifie parcimonieusement (trop d’huile attire la poussière), contrôle l’amplitude du pendule, règle la sonnerie pour ménager une cloche de près de huit tonnes. Bref, c’est un gardien du temps autant qu’un technicien.

Ce travail se fait sans électrification envahissante : l’esprit du XVIIIᵉ est préservé. L’horloger agit un peu comme un vétérinaire du temps : il sent si l’horloge “respire” bien, si le tic-tac est régulier, si la température a allongé le pendule (et donc dérèglé l’heure). Cette mémoire manuelle vaut de l’or, car elle évite les interventions violentes tout en assurant la sécurité du beffroi et du bronze. (On rappelle qu’un gros coup de marteau mal maîtrisé, ça fait vibrer un peu beaucoup.)

Côté public, bonne nouvelle : le monument se visite. Comptez 30 minutes, le samedi, en petit groupe, sur réservation. Au programme : l’escalier à vis, les anciens cachots, la vue, et bien sûr, l’horloge elle-même. Idéal pour comprendre in situ comment une ville s’est longtemps réglée… au pendule.

Bonus didactique — mini-lexique pour mieux profiter sur place

• Horloge à poids : une horloge qui tire son énergie de poids qui descendent. On remonte les poids = on recharge l’horloge.
• Pendule : la pièce qui régule la vitesse (si le pendule s’allonge avec la chaleur, l’horloge retarde, d’où les réglages saisonniers).
• Équation du temps : l’écart (variable au fil de l’année) entre heure solaire et heure moyenne. Le petit cadran en demi-lune te dit combien ajouter/retirer.
• Beffroi : charpente et tours qui portent la cloche ; le bois absorbe les vibrations mieux que la pierre (utile quand on agite 7,8 t de bronze !).

Infos pratiques & “astuces locales”

• Où la voir ? Sous l’arceau de la porte Saint-Éloi, 1 rue Saint-James, 33000 Bordeaux. Deux cadrans : nord et sud.
• Quand sonne la cloche ? Cinq dates commémoratives + le 1ᵉʳ dimanche du mois (depuis 2016). Venez quelques minutes avant pour profiter du moment.
• Visites : 30 min, le samedi, 6 €, en petit groupe, réservation conseillée.
• Petit jeu : sur place, essayez d’expliquer à vos amis l’“équation du temps” en 30 secondes. (Indice : “le soleil n’est pas une montre !”)

Pour finir : pourquoi cette horloge compte (encore) aujourd’hui

(1) celle d’une porte médiévale devenue symbole civique,
(2) celle d’une science du temps très XVIIIᵉ (astronomie, équation du temps),
(3) et celle d’un savoir-faire vivant (un artisan qui remonte, règle et explique).
Dans une époque ultra-numérique, l’horloge de la Grosse Cloche rappelle que l’heure peut être affaire de rouages, de pendule… et d’oreille humaine. Et c’est précisément ce mélange qui la rend si attachante à Bordeaux.

Sources

Bordeaux Tourisme & Congrès — “Grosse Cloche” (infos visites, horaires, adresse)
https://www.bordeaux-tourisme.com/patrimoine-culturel/grosse-cloche.html Bordeaux Tourisme

Visiter Bordeaux — “Visite de la Grosse Cloche” (fiche visite guidée)
https://www.visiter-bordeaux.com/fr/decouvrir-bordeaux/visite-de-la-grosse-cloche.html Visiter Bordeaux

Ville de Bordeaux (EN) — notice “Grosse Cloche” (1775 / 7 800 kg ; horloge 1759)
https://m.bordeaux.fr/en/grosse-cloche Bordeaux

Gironde Tourisme — “La Grosse Cloche” (horloge de 1759, cadran à équation du temps, simplification en 1912)
https://www.gironde-tourisme.com/decouvrir-la-gironde/le-patrimoine-culturel/les-iconiques-en-gironde/la-grosse-cloche/ Gironde Tourisme

Gironde Tourisme — Fiche patrimoine (fondeur Turmel, 1775, 7 800 kg)
https://www.gironde-tourisme.com/patrimoine-culturel/grosse-cloche/ Gironde Tourisme

Wikipédia — “Grosse cloche de Bordeaux” (synthèse : sonneries, 1ᵉʳ dimanche du mois, 1759/1567)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Grosse_cloche_de_Bordeaux Wikipédia

Fleur Explore Bordeaux — Portrait de l’horloger (remontage hebdomadaire)
https://fleurexplorebordeaux.com/horlogerie-d-antan-maitre-horloger-de-la-grosse-cloche/ fleurexplorebordeaux.com

33-bordeaux.com — repères et localisation
https://www.33-bordeaux.com/grosse-cloche.htm 33 Bordeaux

Bernadau, Pierre — Le Viographe bordelais (1841-1844), Gallica (BnF) — description historique détaillée (cloche 1775, décor, distique latin, cadrans, anecdotes).
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65169049.texteImage Gallica

Documents d’archives fournis (extraits) — plan de 1567 (Royer/Sudre), chantier 1759 (Larroque), mention du “globe lunaire”, débats de 1917 sur les cadrans.